Les clauses d’indemnisation des contrats informatiques sont un point clé pour garantir la sécurité des contrats IT. Toute partie engagée dans une négociation contractuelle, même si elle se trouve dans une position commerciale moins favorable que celle de son cocontractant, dispose toujours d’arguments sérieux pour parvenir à encadrer son risque grâce aux clauses limitatives de responsabilité, en commençant par prévoir un plafond d’indemnisation adapté au contexte.
Il n’existe pas de clause « standard » pour plafonner le montant de votre responsabilité ou celle de votre cocontractant
Il n’est pas rare qu’une partie, lorsqu’elle fournit sa propre documentation contractuelle (Conditions Générales de Vente, Conditions Générales d’Achat, bon de commande, etc.) cherche à convaincre à tout prix son cocontractant que la clause de limitation de responsabilité serait un « standard » non modifiable. Les discussions sur ce thème sont généralement vécues comme trop conflictuelles, on cherche à les éviter pour hâter la signature, et, finalement, ce n’est pas toujours la bonne approche pour la sécurité juridique.
Trop souvent, on constate que le soi-disant « standard » est une reprise inadaptée de clauses élaborées dans un contexte très dissemblable. Par exemple, un éditeur de logiciel peut valablement envisager dans un contrat de licence d’exclure toute indemnisation du préjudice subi par son client en cas de perte des données du client, mais il est évident qu’une telle exclusion ne peut pas être prévue de manière aussi abrupte lorsque le même éditeur héberge aussi les données du client, pour le compte du client. Confier l’hébergement induit des responsabilités plus importantes excluant de se dédouaner à bon compte de toute responsabilité sur l’intégrité et la sécurité des données.
Circulent aussi de nombreux contrats dupliquant des clauses limitatives de responsabilité qui se justifient parfaitement dans d’autres systèmes juridiques plus souples que notre système de droit civil et ne sont pas directement transposables sans aucun ajustement.
Dans toutes ces circonstances, un aménagement est indispensable pour optimiser le dispositif de plafonnement proposé en cas de litige devant le juge compétent en droit français. Notre système juridique invite les parties à évaluer et négocier entre elles les clauses d’indemnisation pour les rendre vraiment efficaces ou, s’il s’agit d’un contrat d’adhésion, à vérifier qu’une clause d’indemnisation n’est pas susceptible de créer un déséquilibre significatif entre elles. Il faut considérer, en pratique, que le droit reconnait la validité d’un plafonnement d’indemnisation à cette condition fondamentale qu’elle ne confère pas l’immunité à une partie sans contrepartie pour l’autre partie. En quelque sorte, plus la clause a été négociée et se justifie dans une relation économique maitrisée, plus elle est solide. Tout le contraire d’une norme ou d’un standard, comme on voit.
Comment aménager une clause de plafonnement d’indemnisation ?
Le plafond peut être un montant prédéterminé ou un montant déterminable par une formule de calcul généralement reliée au montant de la facturation pendant une période donnée. Les parties peuvent aussi décider, conventionnellement, lorsque cela est justifié, des cas d’exclusion particuliers dans lesquels le plafond ne s’applique pas.
Le principal écueil consiste à prévoir un plafond qui permettrait à une partie de se décharger par avance d’exécuter son obligation essentielle. Le juge est alors susceptible d’invalider un tel plafond considéré comme dérisoire et d’écarter la clause comme réputée non écrite (elle ne produit plus aucun effet sans annuler le contrat).
Pour minimiser ce risque d’erreur, la recommandation est simple : par des projections financières, même grossières, estimez, selon le cas, votre revenu ou avantage économique obtenu par le contrat ou votre coût du contrat, qui sera mis en balance avec une estimation du risque encouru en cas d’inexécution des engagements par chaque partie, ce qui revient, en quelque sorte, à identifier, anticiper et estimer les dommages prévisibles. Le montant du plafond convenu ne doit pas avoir pour effet pernicieux de décharger l’une ou l’autre partie du respect de son obligation essentielle si le dommage se concrétise. Le plafonnement doit refléter une vraie répartition des risques entre les parties. Pour une estimation sérieuse, il est donc nécessaire que les interlocuteurs impliqués dans la négociation du contrat partagent des informations sur son économie (Direction Commerciale, Achats, Direction juridique, Direction des Systèmes d’Information, Délégué à la protection des données personnelles, etc.), dans l’objectif d’une meilleure sécurité juridique.
Comment les juges appliquent-ils la clause de plafonnement concrètement ?
Une affaire jugée par le Tribunal de commerce de Nanterre le 23 avril 2019 fournit un cas exemplaire (Lire l’article). Le Tribunal a retenu la faute d’un prestataire d’infogérance qui a perdu les données de sa cliente sur un de ses site industriels, avec un historique de 7 ans, en raison de la défaillance du programme de sauvegarde qu’il avait mis en œuvre dans le cadre de sa prestation, et il l’a condamné à indemniser sa cliente du chef de ce préjudice. Comment le déterminer et le chiffrer ?
La société cliente réclamait une indemnité de 7 237 500 euros et le prestataire prétendait, subsidiairement, que l’indemnité devait se limiter à 512 000 euros. Le Tribunal a considéré que le préjudice était constitué par l’absence de fichiers disponibles pouvant perturber l’activité de la société cliente et qu’il devait être évalué en considération de la reconstitution des fichiers nécessaires pour la poursuite de son activité (1ère étape : identification du dommage). Les fichiers dont la perte ne perturbe pas l’activité ont ainsi été exclus de l’indemnisation ; leur perte n’est pas « juridiquement » un dommage. Les magistrats prennent alors en compte la valorisation des fichiers estimés « perdus et utiles » proposée par l’Expert judiciaire missionné antérieurement au cours de la procédure de référé expertise. Cette valorisation est égale au coût de la vérification et à celui de la reconstitution des fichiers valorisée avec un taux horaire, soit un préjudice estimé par l’Expert dans une fourchette comprise entre 509 325 euros et 1 401 850 euros (2ème étape : chiffrage du dommage – on parle du « quantum » dans le langage judiciaire).
Puis, la clause de plafonnement entre en jeu pour être évaluée, prouver ou non son efficacité auprès du juge : en l’occurrence, le Tribunal décide de fixer l’indemnité à la somme de 537 896,04 euros, presque au plancher de la valorisation de l’Expert, en s’appuyant sur la clause d’indemnisation du contrat d’infogérance (3ème étape : application du plafond). Cette clause prévoyait un plafond égal à une année de rémunération du prestataire. Le juge a appliqué mécaniquement le plafond et a fait une interprétation stricte de la volonté des parties, tout en se conformant à la valorisation du dommage proposée par l’Expert. Les juges manifestent ainsi, par cette décision, que la limitation de l’indemnité découlant de la clause ne contestait pas la portée de l’obligation essentielle du prestataire. Le dispositif prévu par les parties s’est montré efficace.
Techniquement, cette décision a été rendue au visa des textes du Code civil antérieurs à l’ordonnance de n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Cette réforme a notamment consacré, à l’article 1231-3 nouveau du Code civil, le principe dégagé antérieurement par la jurisprudence selon lequel, en cas d’inexécution du contrat, les dommages prévisibles au jour de la conclusion du contrat doivent être indemnisés, sauf faute lourde ou dolosive. Cependant, le mode d’appréciation de la faute lourde n’a pas été précisé dans ce texte et suscite comme auparavant, dans la pratique, un fort alea en cas de litige.
Selon la conception subjective, il y a faute lourde lorsque le comportement du débiteur est particulièrement grave et dénote son inaptitude à exécuter ses engagements. Lors d’un contentieux, on apprécie le comportement du débiteur pour vérifier si sa gravité est susceptible de tenir en échec la limitation de l’indemnisation. Cette conception rend parfois difficile à obtenir l’anéantissement d’un plafonnement, les juges devant se convaincre d’un comportement suffisamment grave du débiteur à son obligation. Selon la conception objective, il y a faute lourde lorsque l’obligation inexécutée était une obligation essentielle, c’est donc l’importance de l’obligation violée qui importe et non le comportement du débiteur de l’obligation. En cas de litige, on détermine l’obligation essentielle et on prend en compte le plafond de responsabilité comme seul critère pour apprécier s’il a eu pour effet de vider de sa substance l’obligation essentielle ou neutraliser par avance son exécution.
Avant à la réforme, la jurisprudence des juges du fond fluctuait habituellement entre ces deux conceptions, bien que la Cour de Cassation ait tranché dans un arrêt de principe en faveur de l’application de la conception subjective pour caractériser la faute lourde en énonçant, d’une part, que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle » souscrite par le débiteur et, d’autre part, que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur » (Cass. com., 29 juin 2010, pourvoi n° 09-11841, Bull IV n°115, arrêt Faurecia 2).
La présente affaire jugée en première instance s’inscrit dans cette lignée, dès lors que les magistrats ont expressément rejeté la qualification de faute lourde en retenant que le prestataire a démontré, par son comportement, sa volonté de mettre un terme au dysfonctionnement constaté. Mais d’autres décisions émanant des juges du fond, depuis la réforme ont jugé autrement, en appliquant une conception objective. Le besoin d’examiner en amont la portée d’une clause d’indemnisation au regard de l’économie générale du contrat persiste malgré la réforme visant à améliorer le sort des clauses limitatives de responsabilité. Prenez le temps d’évaluer sérieusement ces clauses lors de la négociation de vos contrats.