En matière de propriété intellectuelle, face aux nombreuses possibilités existantes pour protéger les logiciels, les éditeurs, ESN et intégrateurs ne savent pas toujours à quel type de protection faire appel. D’autant qu’il n’existe pas un seul outil juridique pour protéger l’ensemble composant un logiciel et qu’un choix erroné peut avoir des conséquences directes sur le business de la société … Voici un rapide tour d’horizon des outils juridiques à votre disposition pour vous assurer de détenir la propriété intellectuelle des logiciels que vous avez créés afin de vous aider à choisir la solution la plus adaptée à votre contexte et à votre business model.
Propriété intellectuelle des logiciels : de quoi parle-t-on exactement ?
Un logiciel est un ensemble de programmes opérant le traitement de données pour les exprimer sous une forme définie par le concepteur du logiciel. L’encyclopédie libre Wikipédia décrit le logiciel (voir la définition) comme « un ensemble de séquences d’instructions interprétables par une machine et d’un jeu de données nécessaires à ces opérations. (…) Ces séquences d’instructions appelées programmes ainsi que les données du logiciel sont ordinairement structurées en fichiers ». Ainsi, le logiciel est une construction intellectuelle rassemblant plusieurs programmes informatiques qui interagissent avec la donnée pour rendre un service informatique. Cette interaction, lorsqu’elle est complexe, est créatrice de forte valeur et doit être protégée juridiquement.
Protéger un logiciel, c’est d’abord et avant tout :
- identifier l’objet ou les objets protégeables,
- leur appliquer les bons outils juridiques,
- et mettre en place une stratégie de protection efficace à l’égard des tiers, dans la durée, depuis le début des travaux de conception jusqu’à la commercialisation du produit et durant tout son cycle de vie.
A proprement parler, il n’existe pas un droit de propriété intellectuelle qui couvre un logiciel dans sa globalité et c’est bien là que réside la difficulté ! Pour garder le monopole de la valeur, la faire fructifier avec toutes les parties prenantes, vous devez nécessairement vous appuyer sur plusieurs outils juridiques à votre disposition.
Il existe différents outils de propriété intellectuelle pour protéger vos logiciels en fonction de ce que vous voulez protéger : votre code ? votre documentation utilisateur ? l’interface graphique et l’ergonomie du logiciel ? l’algorithme ? etc… Ces outils obéissent chacun à des objectifs propres et à des règles différentes. Correctement mis en œuvre, ils permettront de protéger cet actif et, du même coup, de contrôler et valoriser la donnée traitée par le logiciel.
Protéger le code et le matériel de conception préparatoire par le droit d’auteur spécial du logiciel
Le droit d’auteur du logiciel est un droit spécial né avec la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, largement modifié depuis. Dans les années 1980, l’industrie du logiciel était en plein essor. Les éminents juristes de ce temps ont privilégié le droit d’auteur comme outil de protection mais en écartant certaines règles qui étaient vues comme des freins au développement. C’est ainsi que le législateur a privé les auteurs-salariés des logiciels du traditionnel droit à la rémunération de l’auteur sur son œuvre, et que les attributs de leur droit moral sur le logiciel ont été réduit à la portion congrue.
L’important est de retenir que le droit d’auteur du logiciel ne protège PAS le logiciel dans sa totalité. Ce droit spécial a une portée restreinte, traduite dans les textes européens par le terme « droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur ». Le droit d’auteur du logiciel protège le logiciel en tant qu’une « forme d’expression d’un programme d’ordinateur » comprenant les SEULS éléments suivants :
- Le code source, lisible par l’être humain
- le code objet ou autrement dit le code compilé ou exécutable, c’est-à-dire le code lisible par la machine
- le matériel de conception préparatoire (schémas, organigrammes, diagrammes de flux décrivant l’architecture, la structure, l’organisation…) lorsqu’ils sont susceptibles de déboucher ultérieurement sur un programme d’ordinateur
Pour obtenir ce monopole, le logiciel doit tout de même satisfaire à une condition, nécessaire et suffisante : le logiciel doit être original, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, s’il est le résultat d’un processus créatif propre à l’auteur et s’il représente un réel apport intellectuel de l’auteur.
Dès la conception du logiciel, au fur et à mesure des travaux d’étude et de développement, il est essentiel d’analyser les livrables au regard de ce double critère d’originalité pour identifier la documentation et les codes susceptibles d’être couverts par le droit d’auteur du logiciel et valorisés à ce titre comme des actifs incorporels.
Sur le même thème, pour aller plus loin : Quelles sont les conditions pour obtenir la protection du « droit d’auteur sur le logiciel » ?
Protéger l’ergonomie, les contenus multimédia incorporés au logiciel et la documentation utilisateur par le droit d’auteur général
Le droit d’auteur général a vocation à protéger des éléments autonomes utilisés pour exploiter des fonctions du logiciel ou pour le mettre en œuvre, s’ils caractérisent des œuvres originales (comme toujours, en droit d’auteur), notamment :
- les langages de programmation
- les formats de fichiers de données
- les interfaces utilisateur graphiques
- la documentation et le manuel d’utilisation
- les sons, textes, images ou vidéos incorporés au logiciel
La protection est vaste, mais elle suscite régulièrement des difficultés pratiques pour démontrer l’originalité, surtout lorsque la création a été conçue pour répondre à une forte contrainte technique, ou si elle est normée. L’affaire C-406/10 (consulter la décision), jugée en 2012 par la Cour de Justice de l’Union Européenne, illustre parfaitement cette difficulté : à propos d’un manuel d’utilisation d’un logiciel d’analyses statistiques, la Cour a précisé que les mots-clés, la syntaxe, les commandes et les combinaisons de commandes, les options, les valeurs par défaut ainsi que les itérations sont composés de mots, de chiffres ou de concepts mathématiques qui, considérés isolément, ne sont pas, en tant que tels, une création intellectuelle de l’auteur. Ce n’est qu’à travers le choix, la disposition et la combinaison de ces mots, de ces chiffres ou de ces concepts mathématiques que l’auteur exprime son esprit créateur de manière originale.
Dans tous les cas, l’auteur doit démontrer qu’il a opéré des choix personnels allant au-delà de la simple logique technique ou de standards contraignants. Si le caractère original des travaux parait douteux, il est préférable d’utiliser d’autres outils disponibles pour protéger les créations et le savoir-faire.
Protéger les algorithmes et méthodes mathématiques et le savoir-faire par le secret des affaires
Les idées et principes qui sont à la base du logiciel, notamment les modèles mathématiques et les algorithmes (suite ordonnée d’opérations mathématiques), appartiennent au domaine des idées ou du concept et sont, par nature, exclus du droit d’auteur. De l’avis général, il n’est pas souhaitable que quiconque s’approprie le monopole des idées, méthodes ou concepts, qui empêcherait la diffusion du progrès technique et le développement industriel.
Pourtant, dans la société numérique, les données massives et l’usage des algorithmes ont créé une économie et des marchés centrés autour de l’algorithme qui a acquis une valeur considérable. Ce n’est que depuis 2018 que l’algorithme est protégé par le secret des affaires, s’il possède une valeur commerciale et s’il fait l’objet de mesures de protection raisonnables (art. L. 151-1 du Code de commerce). Sont également concernés les méthodes, modèles mathématiques, théorèmes, équations, formules, etc. ainsi que le savoir-faire ou les informations sensibles valorisables contenues dans des documents techniques valorisables, comme le cahier des charges du logiciel.
Cet outil est encore méconnu et mériterait d’être plus largement utilisé dans les entreprises. Elles doivent garder en tête qu’il ne confère pas de monopole sur l’algorithme. Une autre logique est à l’œuvre : tant qu’il est tenu au secret dans les conditions requises, l’entreprise bénéficie des moyens d’action spécifiques prévus par la loi pour contrôler son utilisation, empêcher sa divulgation ou faire sanctionner les atteintes. On doit former les collaborateurs aux exigences formelles du secret des affaires, mettre en place des procédures, notamment dans les contrats, et renforcer la sécurité des accès physiques et des systèmes d’information.
Protéger les autres informations par les engagements de confidentialité et le droit commun de la responsabilité
Signalons que le droit de la responsabilité contractuelle, par les engagements de confidentialité, le droit de la responsabilité civile (concurrence déloyale) et le droit pénal (vol de données) posent des limites et sanctionnent les actes constitutifs d’abus ou d’infraction portant sur des informations non protégées.
Les fonctionnalités sont un bon exemple. Les possibilités offertes par un logiciel sont des idées de libre parcours. On peut observer, étudier et tester le comportement d’un logiciel et en reproduire les fonctionnalités, à condition de ne pas se procurer le code, ce qui porterait atteinte aux droits exclusifs, ou de ne commettre aucun abus de pratique commerciale, ce qui tomberait sous le coup des responsabilités civiles ou pénales.
En résumé
La protection intellectuelle d’un produit logiciel est multiforme, comme l’illustre ce schéma :
Chaque outil de protection, que ce soit le droit d’auteur du logiciel, le droit d’auteur général, le secret des affaires, le droit de la responsabilité ou le droit pénal, obéit à ses propres règles.
Mieux vaut toujours anticiper, analyser le logiciel dans son ensemble, faire l’inventaire de ce qui représente une information valorisable, un actif protégeable et déterminer en amont avec l’aide de votre conseil juridique, les principes qui doivent être respectés pour vous donner toutes les chances de conserver vos avantages concurrentiels.
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